Friday, August 30, 2024

Expérimentation narrative II

 






Ce n’était pas férié ce jour-là, et au milieu de l’après-midi, Prométhée est sorti pour se balader. Avez-vous dit sortir au milieu de l’après-midi… d’un vendredi ? Oui, c’était exactement ce qu’il avait fait. Il y avait quelques papiers sur la table et quelques messages dans la boîte électronique. D’ailleurs, ils arrivaient tout le temps. C’est-à-dire, laisser la table du bureau ne paraissait pas être une bonne idée, une fois que les indices étaient évidents : des papiers et encore des papiers, des messages électroniques et des projets en cours étaient les pistes suffisantes et incontournables indiquant qu’il y avait du travail jusqu’au cou. Ce n'était pas mal de travailler à chaque projet, chacun d'entre eux était unique et il y avait des différences entre eux. Malgré cela, il était nécessaire de faire beaucoup d’efforts pour mettre en pratique l’inventivité aussi bien que trouver les solutions les plus diverses pour les problèmes les plus différents. Ce jour-là, toute la partie matinale avait été consumée par des réunions. En fait, les journées se déroulaient à peu près comme cela : entre les réunions interminables et les obligations banales. En revanche, le fait est que, dans la balance de la vie, l'inclinaison penchait vers le côté de l'insatisfaction.

Ce vendredi-là, particulièrement, Prométhée avait la sensation d’être enchaîné. C’est exactement le terme qui définit sa situation. Celle-ci en fonction non seulement des circonstances en elles-mêmes, mais aussi sachant que son talent était employé de manière inappropriée. Voilà la raison pour laquelle il est sorti du bureau au milieu de l’après-midi en laissant ses obligations de côté. Cher lecteur ou lectrice, je vous dis que la narration d’un tel évènement n’est pas commune, si on considère tout ce qui se passe quotidiennement. Imaginez une personne sortir du bureau, au milieu de l’après-midi, laisser de côté les délais et les tâches, pour se balader, n’importe où, juste pour le simple plaisir de se balader ! Eh bien, Prométhée avait le désir de prendre l’air et de s’aérer la tête. Enfin, il avait aussi le besoin de donner libre cours à ses pensées. Alors, il a pris le portable, il a mis les écouteurs et il a choisi l'une de ses playlists préférées. Il était nécessaire d’aller au café, non loin du bureau, à quelques blocs de là. Le café était comme un type de combustible, un stimulant naturel ; et les écouteurs étaient un type de tampon, une manière de mitiger la brutalité sonore de la ville.

Dans ce bureau, il y avait une ambiance un petit peu suffocante. En fait, elle était très suffocante. Des murs peints en gris aussi bien que le sol, les tables et les ordinateurs. Bref, une ambiance complètement grise. D’un autre côté, les conduits d'air conditionné étaient doublement désagréables : premièrement, ils sonnaient d’un bruit extrêmement agressif pour les oreilles ; deuxièmement, ils dispersaient la fumée du cigare en sortant directement du bureau de direction partout. Tout le monde sentait cette odeur déplaisante – croyez-moi ! – mais personne ne disait rien. D’ailleurs, cet air conditionné asséchait les yeux, et pour ceux qui avaient des problèmes de vision, comme c'était le cas de certains collègues du département, c'était un autre problème. Quitter cette ambiance, même pour peu de temps, était une expérience libératrice. Ainsi, le déplacement entre le bureau et le café était un véritable bonheur. Se balader n’importe où, pouvoir marcher, sentir la brise fraîche au visage, tout cela était une sensation extrêmement agréable. D’ailleurs, comment on peut évaluer ces moments ?

Cette playlist jouait des chansons variées. Une playlist qui se respecte doit avoir de la diversité. Imaginez les styles musicaux et les artistes les plus différents aussi bien que les nationalités et les régions. Pourtant, ce n’était pas toujours comme cela. Notre personnage n’oubliait pas les moments dans lesquels il avait l’audition musicale bien plus étroite, c’est-à-dire qu’il y avait une prédilection pour un seul style musical. Il y avait certaines choses qui semblent être comme cela, autrement dit, dans certaines circonstances, notre attention est dirigée vers un seul objet. Et cette inclination semble avoir de la signification… jusqu’à un certain point ! Toutefois, les phénomènes musicaux sont complexes et leurs manifestations sont susceptibles d’appréciations variées. Dans ce sens, amplifier les capacités auditives est aussi amplifier la capacité de compréhension. Les personnes qui cultivent l’habitude de l’appréciation musicale sont de bonnes auditrices, et les personnes qui apprécient différents styles musicaux sont plus tolérantes, donc l’habitude de l’appréciation musicale raffine l’entendement et perfectionne l’art de la convivialité. Dernièrement, ces idées ont traversé son imagination. Mais elles n’étaient simplement que des idées. Pourtant, la chose la plus inquiétante, c’était la manifestation du temps dans la musique. Est-ce que le temps existe ? Est-ce que le temps est absolu ? Est-ce que le temps est relatif ? Pair ailleurs, si le temps se déroule, comment peut-on le percevoir ? Si c’est le cas, il serait aussi perceptible dans la musique ? Ici, on parle du temps qui se déroule dans la musique, mais, et quant au niveau du temps vital, c’est-à-dire le temps qui se déroule dans la vie des êtres humains ? Comment peut-on le comprendre ?

Prométhée était déjà sorti du bâtiment et se baladait sur le trottoir depuis quelque temps. Il y avait encore un tronçon à parcourir. La rue était pleine de gens. Les gens circulaient. Ils croisaient son chemin en allant et venant. Déjà au coin, devant lui, le petit bonhomme, de l'autre côté du trottoir et au-dessus du passage piéton, éclairé en rouge, indiquait que l'on devait attendre un peu plus longtemps. Le feu rouge indique qu'il n'est pas possible de traverser la rue, cependant il est bientôt devenu vert, ce qui indique que le chemin est libre. Et, ainsi, il a continué à se balader. À ce point du tronçon, notre personnage remarquait comment la ville était une chose étrange : beaucoup de personnes concentrées, des voitures et des motos qui circulent à un rythme frénétique, des établissements commerciaux qui vendent les produits les plus variés, sans mentionner une autre infinité de choses aussi bien que tout le type de pollution. Des bruits et des sons divers, ainsi que des chants d'oiseaux, se sont fait concurrence dans une sorte de coexistence forcée d’un même paysage. Et voilà où les personnes vivent au milieu de toute cette étrangeté – celles qui vivent, pourtant, et les personnes qui seulement survivent ? Et les personnes qui sont jetées par les trottoirs ?

À ce point de la balade, Prométhée pensait à ce qu'il allait demander en arrivant au café. Les cafés sont des lieux extrêmement représentatifs. Celui-ci, spécifiquement proche du bureau, promouvait des événements littéraires et philosophiques. C’est-à-dire, l’ambiance était un lieu très accueillant et approprié au développement de la pensée. Ce vendredi après-midi, spécifiquement, il n’y avait aucun événement prévu, car les événements étaient généralement organisés le week-end. Toutefois, ce n’était pas une règle parmi les cafés, une fois que chacun d’entre eux organisait librement son propre programme selon sa propre motivation. Par exemple, au XVIIIe siècle, les cafés européens jouaient un rôle clé dans la diffusion des idées les plus variées. Dans une ambiance effervescente, de nouveaux modes de pensée et de nouvelles visions du monde ont été débattus entre les gens. Étant donné que notre personnage a récemment lu des livres sur le sujet, son regard ne pourrait que se tourner vers cet endroit sous l'influence de ces lectures. Il n'est pas étonnant que le XVIIIe siècle soit connu comme Le Siècle des Lumières.

Tout au long du parcours, il y avait aussi un musée situé dans un boulevard très important. L’image de cette institution est venue à son imagination quand il a remarqué qu’il était à chaque fois plus proche. Il est aussi venu à son imagination d’autres images, non plus vivaces, sur les différentes œuvres d’art de ce musée, qui ont été observées pendant quelques-uns de ses rendez-vous. Il avait beaucoup d’œuvres, donc ce n’était pas possible de se souvenir de la totalité. Vu que l'institution approchait de plus en plus, le torrent de pensées devenait plus intense. Il y avait différentes œuvres d’art là-bas. Des peintures, des gravures, des dessins, des sculptures et des tapisseries, par exemple. S’il y a peu de temps on a élaboré quelques questions, c’est-à-dire, l’esquisse d’une investigation sur l’existence et la manifestation du temps dans la musique et dans la vie des personnes, est-ce qu’il serait possible d’étendre cette réflexion aux œuvres d’art les plus variées ? Si on peut percevoir le passage du temps, serait-il également perceptible à travers des manifestations artistiques les plus diverses ? Et la playlist continuait encore de passer, et à ce moment-là, les notes d'un solo de jazz résonnaient à ses oreilles.

Percevez que, en sortant de cette ambiance oppressive, le bureau monochromatique, une infinité d’impressions et d’idées sont spontanément nées pendant la balade. La sensation qu’il avait, c’était qu’il faisait partie d’un organisme vivant. La ville, avec ses contradictions et ses étrangetés, était encore une ambiance pulsante. Ses institutions culturelles, les places, les rues, les espaces de convivialité, les écoles, les bâtiments, les maisons et toutes les formes de vie civilisée sont partout. Cependant, une infinité d’autres problèmes, pour lesquels il est nécessaire de trouver les bonnes solutions, est aussi partout. Il n’était pas nécessaire de s’y déplacer très loin pour être capable de les percevoir. D’autre part, le café est devenu chaque fois plus proche, et maintenant, c’était vers lui que l’attention est tournée. Ce n'était plus qu'à un bloc, c’est-à-dire, juste quelques pas.

Le vendredi après-midi était étonnamment agréable. Le climat n’était pas si chaud. Toutefois, depuis un certain temps, les après-midis devenaient de plus en plus nuageux, alors que la pluie tombait abondamment. Les inondations deviennent monnaie courante à plusieurs endroits. Le plus impressionnant est que les pluies d’été étaient devenues plus intenses et plus concentrées. Maintenant, il était à la porte du café, mais avant d’entrer, Prométhée a regardé les arbres sur le trottoir et a remarqué le verdissement de leurs feuillages. Il n'a également pas arrêté de penser à la force vitale extrêmement vigoureuse de cet extrait de la nature, dont la vie persévérait au milieu de l'asphalte et du béton. Avec ces images de la nature, notre personnage est entré dans le café.

Une fois à table, une serveuse extrêmement sympathique et disponible, Vanessa, est venue à sa rencontre. À l’occasion, elle lui a apporté le menu. Après avoir feuilleté quelques-unes de ses pages, notre personnage a demandé un cappuccino et un croissant. La demande a été prise en compte. Pendant qu'il les attendait, Prométhée a remarqué que l'ambiance était pratiquement pleine. Il y avait un bourdonnement qui s’y propageait partout. L’impression qu’il avait, c’était que ces types de manifestations rendaient l’expérience extrêmement accueillante. Toute l’ambiance devenait humanisée avec la présence des personnes : des voix, des rires, le bruit des tasses posées sur les soucoupes. Et c’était pour cela, entre autres choses, que les cafés au XVIIIe siècle étaient si emblématiques. C’est-à-dire, ces espaces sont très réceptifs pour la convivialité et la réflexion. Quelques minutes après, la demande a été servie :


Vanessa: Voici votre commande, Prométhée. Un cappuccino et un croissant. Bon appétit !

Prométhée: Merci, Vanessa !

 

Maintenant, il était temps de goûter le cappuccino et de déguster le croissant. Et, finalement, réfléchir calmement sur la vie. Après avoir fait ces considérations sur le temps, son existence, sa manifestation dans la musique et dans les arts d’une manière générale, notre personnage a orienté cette réflexion dans le cadre de la vie personnelle. Alternant une gorgée de boisson et une bouchée de viennoiserie, Prométhée se sentait beaucoup plus à l'aise dans le café. Dans ce lieu, il se sentait accueilli, bien que les personnes soient différentes. Au bureau, le travail en soi était agréable, il y avait des défis, et ses capacités intellectuelles étaient mises à l'épreuve. Autrement dit, Prométhée se sentait défié. Toutefois, il n'était pas satisfait de l'ambiance. Comment était-ce possible d’employer les capacités intellectuelles dans un lieu plein de problèmes ? D’un côté, l’ambiance monochromatique ne stimulait pas l’inventivité. D’un autre côté, le bruit de l’air conditionné était agaçant. Et comme si ce n’était pas suffisant, la fumée du cigare sortant directement du bureau de direction envahissait toute l’ambiance. Prométhée n'était même pas un fumeur et tout cela n'était qu'une véritable provocation pour lui. Cependant, en fonction des circonstances évidentes, ni lui ni ses collègues de travail ne pouvaient se plaindre. Et comme il se souciait de sa santé et de ses conditions de travail, il avait trouvé une solution pour sortir de l'impasse. C’était un vendredi après-midi d’été. Après avoir réfléchi et savouré le cappuccino et le croissant, il était temps de régler l'addition. Mais il était aussi temps de régler les comptes ailleurs.

 

Prométhée : Au revoir, Vanessa ! C’était super savoureux comme d’habitude. Bon après-midi à vous !

Vanessa : Au revoir, Prométhée ! C’était un plaisir de vous accueillir une fois de plus !

 

La pluie avait commencé ; et la pluie est une manifestation extrêmement vigoureuse de la nature. Cependant, le parapluie était au bureau. Alors, il était nécessaire de demander un transport au moyen du téléphone portable. Un chauffeur a été appelé, le trajet a été indiqué et, après quelques minutes, la voiture est arrivée. Le chauffeur s’appelait Antônio. Et le trajet n’était pas si long en voiture. Dans quelques minutes, il sera retourné. La sensation qu’il avait à ce moment-là ? Eh bien, je laisserai cela pour que le lecteur ou la lectrice essaye de découvrir cela par la suite. Le retour a été très rapide. Quelques feux de circulation étaient rouges et bien d’autres verts au cours du chemin. Sur le chemin du retour, le musée a été vu à gauche par la fenêtre de la voiture et beaucoup d’images et de souvenirs lui sont venues à la tête. Et donc Prométhée est arrivé au bureau. Et une fois arrivé, il s’est déplacé directement au bureau de son supérieur immédiat pour lui parler. Suivons le dialogue :

 

Supérieur immédiat : Prométhée ! Je vous cherche depuis longtemps. Où étiez-vous tout l'après-midi ?

Prométhée : Bonjour, Monsieur ! Je suis sorti l’après-midi.

Supérieur immédiat : C'était bien ce que je pensais. Et où étiez-vous ?

Prométhée : Ne le prenez pas mal, j’avais besoin de sortir du bureau un peu pour m’aérer la tête.

Supérieur immédiat : Qu’est-ce que vous voulez dire ? Quitter le bureau en plein milieu d'un vendredi après-midi pour vous aérer la tête ?

Prométhée : Oui, oui, c’est ça. Je suis sorti pour donner libre cours à mes pensées. J'ai quelques impressions que j'aimerais partager avec vous.

Supérieur immédiat : Ecoutez, toutes ces paroles sont très étranges et je ne les aime pas beaucoup.

Prométhée : Eh bien, indépendamment de tout ça, j'aimerais vous dire que je ne suis pas satisfait de mes conditions de travail. Je réévalue beaucoup de choses dans ma vie. Depuis un certain temps, je cultive la lecture plus intensément, j'apprécie les œuvres d'art les plus diverses et j'écoute de la musique de différents styles, et en quittant le bureau cet après-midi, j'ai notamment mis ma playlist préférée pendant la balade. Après avoir commencé à cultiver toutes ces habitudes avec encore plus d’intensité, les réflexions philosophiques sur le temps ont commencé à occuper une grande partie de mes pensées. En d'autres termes, le temps passe et je me sens enchaîné.

Supérieur immédiat : Prométhée, j’ai remarqué que vous étiez un peu étrange dernièrement.

Prométhée : Regardez, les choses ne sont pas exactement comme ça. Je ne suis pas « un peu étrange dernièrement ». En fait, ce qui se passe, c'est que je réévalue vraiment ce que je fais dans ma vie. J'aimerais partager avec vous quelques considérations sur notre lieu de travail, par exemple. Écoutez attentivement ce que j'ai à dire et essayez de comprendre mon point de vue avant de porter un jugement trop hâtif.

Supérieur immédiat : Notre lieu de travail est parfait. Il n'y a aucun problème. Les départements travaillent en harmonie, les gens s'entendent bien, l'équipe travaille en synergie. Par ailleurs, l'environnement est très propice à la productivité. Il n'y a rien à se plaindre, si vous comprenez ce que je veux dire.

Prométhée : Oh là là Monsieur, une fois de plus, ne le prenez pas mal, mais je ne suis pas d’accord avec votre opinion. Voici ce que j’ai à dire selon notre expérience quotidienne : J’ai l’impression que le bureau est une ambiance un petit peu suffocante. En fait, elle est très suffocante. Des murs peints en gris, aussi bien le sol, les tables et les ordinateurs. Bref, une ambiance complètement grise. Rien de ça ne stimule rien l'inventivité, la naissance de nouvelles idées ou la production de solutions créatives aux problèmes complexes. Bref, quand je suis au bureau, je dois faire un effort herculéen pour que ma pensée ne soit pas paralysée. Et ma pensée, si vous comprenez ce que je veux dire, est toujours en mouvement.

Supérieur immédiat : Je n'ai reçu aucune plainte jusqu'à présent. Vous êtes la seule personne à avoir fait cela. Et quelle audace, non ?

Prométhée : Je suis donc le pionnier dans cette affaire ?

Supérieur immédiat : Gardez les ironies pour vos collègues de travail.

Prométhée : Il ne s'agit pas d'ironie, mais de la reconnaissance d'une réussite. À propos, permettez-moi de compléter mes considérations. J'ai une autre plainte à faire concernant l'air conditionné. Les conduits d'air conditionné sont doublement désagréables : premièrement, ils sonnent d’un bruit extrêmement agressif pour les oreilles ; deuxièmement, ils dispersent la fumée du cigare partout en sortant directement du bureau de direction. D’ailleurs, cet air conditionné assèche les yeux, et pour ceux qui ont des problèmes de vision, comme c'était le cas pour certains collègues du département, c'est un autre problème.

Supérieur immédiat : Synthétisons la conversation. Où voulez-vous en venir ?

Prométhée : Voilà, je constate que mes critiques constructives n'ont pas été bien accueillies. En effet, je suis un jeune homme qui a toute la vie à vivre. Comme je porte une attention soutenue aux résultats de mon travail et à ma santé, voici mon badge ! Comme je sais que je ne serai pas licencié, je préfère anticiper le mouvement. De plus, je sais qu'il me reste encore quelques tâches à accomplir. Alors mes conditions sont les suivantes : une fois les tâches pendantes finalisées, je peux aller au RH pour signer la paperasse.

Supérieur immédiat : J'ai besoin de vous expliquer que c'est notre style. Notre ambiance a toujours été comme ça. Personne ne s'est jamais plaint. Et notre entreprise est extrêmement rentable. Nous sommes très présents dans des endroits inimaginables. Quant à la fumée de cigare qui vient de la salle de réunion, c'est comme ça. Mais ne vous inquiétez pas. Il n'est pas nécessaire de finaliser les tâches pendantes. J'en parlerai aux responsables des ressources humaines et, à partir de lundi, vous n'aurez plus besoin de venir au bureau. En fait, je suis très triste par rapport à toute cette situation. Je ne m'attendais pas à ce que vos réflexions vous mènent si loin et vous fassent prendre une si mauvaise décision !

Prométhée : Bien, comme il est déjà 17 heures, on est arrivé à la fin du service. Je vais à mon bureau pour organiser mes affaires. Je vous souhaite un bon après-midi !

Supérieur immédiat : Bonne chance et bon courage !

 

Après ce bref dialogue, Prométhée est allé à son département, a organisé ses affaires et a pris son parapluie. Il pleuvait encore. Il était déjà plus de 17 heures et le bureau était vide. Il n'a pas eu le temps de dire au revoir à personne. Comme les ordinateurs avaient déjà été éteints, l’air conditionné était plus bruyant et l’ambiance monochromatique plus monotone. Voici la question qui lui venait à la tête, dans ces circonstances : comment a-t-il pu consacrer autant d'énergie à une telle entreprise pendant si longtemps ? Il avait le sentiment qu'il y avait d'autres expériences bien plus passionnantes à vivre, comme continuer à cultiver les humanités, former sa pensée et commencer une nouvelle carrière. Avec ses affaires dans un sac à dos et son parapluie à la main, Prométhée est parti en direction de l'ascenseur. Il est dans le hall quand, à sa grande surprise, le directeur est apparu de l'autre côté du couloir. Il avait son téléphone portable à la main, le regard tourné vers l'écran en tapant un message, et il avançait vers Prométhée.


Directeur : Comment allez-vous ?

Prométhée : Bonjour !

Directeur : J'ai besoin que vous veniez à mon bureau à la première heure le lundi.

Prométhée : Je suis désolé, ce n'est pas possible.

Directeur : Qu'est-ce que voulez-vous dire ? Qu'est-ce qui se passe ? Vous êtes un excellent employé.

Prométhée : Aujourd'hui, c'était mon dernier jour de travail.

 

L'ascenseur arrive et ils y montent tous les deux. Prométhée indique le rez-de-chaussée et le directeur le deuxième sous-sol. Le dialogue continue...

 

Directeur : Ah bon ? Y a-t-il une raison particulière à votre licenciement ?

Prométhée : Oui, il y a deux raisons. C'est une histoire un peu longue. Je vous suggère d'en parler au supérieur immédiat, à qui j'ai parlé en fin d’après-midi. Il pourra vous donner les raisons. Cependant, j'ai l'impression que l'une d'entre elles sera omise.

Directeur : Utilisez votre pouvoir de synthèse. Nous sommes toujours au 20e étage. D'ailleurs, comme l’une des raisons sera omise, n'hésitez pas à me la communiquer. Ainsi, je saurai ce qui s'est passé avant.

 

Pause pour quelques instants. L'ascenseur continue de descendre.

 

Prométhée : Je vous remercie de votre attention. Comme vous insistez, j'espère que vous ne le prenez pas mal. Votre cigare ne doit pas être de très bonne qualité, n'est-ce pas ?

 

L'ascenseur arrive au rez-de-chaussée et le directeur, déconcerté, ne sait plus quoi dire. Prométhée est discrètement sorti et a esquissé un sourire en coin. Ses affaire et le parapluie sont encore dans ses mains.

 

 

Sur la peinture :

Edgar Degas (1834 – 1917)

Café Singer

1879

Huile sur toile

The Art Institute of Chicago